Bernard Crettaz, le fondateur des Cafés mortels, est décédé subitement le 28 novembre 2022, dix jours après sa participation à l’événement « La mort, une liberté à inventer ». L’équipe des Cafés mortels, réunie dans l’association EnVie de dire la Mort, lui a rendu cet hommage lors de la messe d’enterrement célébrée à Vissoie le 17 décembre 2022.
Très cher Bernard,
Les 17 et 18 novembre derniers, à Genève, dans le cadre de l’événement La mort, une liberté à inventer, tu nous enseignais encore, avec tes solides convictions forgées par ton expérience. Tu défendais la mort avec énergie car elle rappelle le don fondamental de l’existence.
Nous écoutions religieusement, pris par tes propos puissants, par ton humilité – tu disais « à 84 ans, je sais de moins en moins de choses sur la mort » - ; pris par la vertigineuse profondeur des questions sans âge sur l’Etre, le néant et la mort, inlassablement creusées jusqu’aux tréfonds de toi-même, jusqu’aux pépites de l’émerveillement premier.
Une grande et belle leçon.
C’est aujourd’hui, très cher Bernard, que tu nous donnes ta dernière leçon en matière de mort, mais cette fois-ci nous passons aux travaux pratiques. Toi, en premier lieu, puisque tu as passé la porte de la mort, le mystère des mystères.
Nous, devant ton urne, certaines, certains avec au cœur une plus grande béance que d’autres, nous entrons à notre tour dans notre travail d’énigme.
Tu disais : « parce que celui qui est mort ne fait plus partie du monde des vivants, il faut le laisser partir, et en même temps essayer de le loger en nous. »
Aujourd’hui c’est toi qui es mort, c’est toi qui ne fais plus partie du monde des vivants, à nous de te laisser partir, et en même temps de réaménager une place en nous pour nos histoires, nos souvenirs. Nous entendons encore tes propos véhéments sur le récit que nous faisons à la mort d’un proche. Tu nous prévenais des risques d’enjoliver, de censurer, de fabriquer finalement « un mort qui nous convienne ».
Très cher Bernard, tu n’as jamais cherché à être « convenable ».
Un jour, lors d’une transmissions sur les Cafés mortels, tu nous as dit : « vous devez être ET bénévoles ET professionnels ». Faire coexister des réalités contradictoires, voilà ce qui te décrit le mieux. Et la montagne et la ville, et la paysannerie et l’université, et l’oralité et les livres, et les paroles et l’écoute, et le corps et l’esprit, et la foi et les doutes.
Et laisser partir les morts et les loger en soi.
Incarner le paradoxe, vivre dans les contradictions, comme tu l’as fait, c’est vivre plus large, plus profond, plus haut, plus fort, et probablement aussi plus difficile.
Tu en as a fait le récit dans l’un de tes derniers livres, Et comme l’espérance est violente, dont le titre est emprunté à un vers d’Apollinaire, ce vers qui orne d’ailleurs ton faire-part. En compagnie de ta nièce Marcia, tu retraces le cours de ta vie, riche et pleine, avec ton habituelle et exigeante recherche de vérité, sans complaisance aucune. Ton espérance n’était pas béate, mais combat, lutte, doute, erreurs, remise en cause perpétuelle.
Puisses-tu aujourd’hui accomplir ton espérance, avec ces mots de Bernanos que tu cites : « Pour rencontrer l’espérance, il faut être allé au-delà du désespoir. Quand on va jusqu’au bout de la nuit, on rencontre une nouvelle aurore ».
Très cher Bernard,
MERCI de tout ce que tu as exploré, donné, transmis durant ton parcours terrestre
Puisse ta quête enfin se terminer dans le mystère de la mort
Puisse ton Âme reposer en paix dans cette nouvelle aurore.
Avec nos plus sincères condoléances à Elisabeth, ton épouse, à Jean, ton fils de cœur, à la famille Crettaz, à la famille Preiswerk, toutes les personnes qui, dans la vallée, à Genève, à Fribourg et ailleurs, t’ont connu et aimé.
Rita Bonvin pour EVM
Très cher Bernard,
Les 17 et 18 novembre derniers, à Genève, dans le cadre de l’événement La mort, une liberté à inventer, tu nous enseignais encore, avec tes solides convictions forgées par ton expérience. Tu défendais la mort avec énergie car elle rappelle le don fondamental de l’existence.
Nous écoutions religieusement, pris par tes propos puissants, par ton humilité – tu disais « à 84 ans, je sais de moins en moins de choses sur la mort » - ; pris par la vertigineuse profondeur des questions sans âge sur l’Etre, le néant et la mort, inlassablement creusées jusqu’aux tréfonds de toi-même, jusqu’aux pépites de l’émerveillement premier.
Une grande et belle leçon.
C’est aujourd’hui, très cher Bernard, que tu nous donnes ta dernière leçon en matière de mort, mais cette fois-ci nous passons aux travaux pratiques. Toi, en premier lieu, puisque tu as passé la porte de la mort, le mystère des mystères.
Nous, devant ton urne, certaines, certains avec au cœur une plus grande béance que d’autres, nous entrons à notre tour dans notre travail d’énigme.
Tu disais : « parce que celui qui est mort ne fait plus partie du monde des vivants, il faut le laisser partir, et en même temps essayer de le loger en nous. »
Aujourd’hui c’est toi qui es mort, c’est toi qui ne fais plus partie du monde des vivants, à nous de te laisser partir, et en même temps de réaménager une place en nous pour nos histoires, nos souvenirs. Nous entendons encore tes propos véhéments sur le récit que nous faisons à la mort d’un proche. Tu nous prévenais des risques d’enjoliver, de censurer, de fabriquer finalement « un mort qui nous convienne ».
Très cher Bernard, tu n’as jamais cherché à être « convenable ».
Un jour, lors d’une transmissions sur les Cafés mortels, tu nous as dit : « vous devez être ET bénévoles ET professionnels ». Faire coexister des réalités contradictoires, voilà ce qui te décrit le mieux. Et la montagne et la ville, et la paysannerie et l’université, et l’oralité et les livres, et les paroles et l’écoute, et le corps et l’esprit, et la foi et les doutes.
Et laisser partir les morts et les loger en soi.
Incarner le paradoxe, vivre dans les contradictions, comme tu l’as fait, c’est vivre plus large, plus profond, plus haut, plus fort, et probablement aussi plus difficile.
Tu en as a fait le récit dans l’un de tes derniers livres, Et comme l’espérance est violente, dont le titre est emprunté à un vers d’Apollinaire, ce vers qui orne d’ailleurs ton faire-part. En compagnie de ta nièce Marcia, tu retraces le cours de ta vie, riche et pleine, avec ton habituelle et exigeante recherche de vérité, sans complaisance aucune. Ton espérance n’était pas béate, mais combat, lutte, doute, erreurs, remise en cause perpétuelle.
Puisses-tu aujourd’hui accomplir ton espérance, avec ces mots de Bernanos que tu cites : « Pour rencontrer l’espérance, il faut être allé au-delà du désespoir. Quand on va jusqu’au bout de la nuit, on rencontre une nouvelle aurore ».
Très cher Bernard,
MERCI de tout ce que tu as exploré, donné, transmis durant ton parcours terrestre
Puisse ta quête enfin se terminer dans le mystère de la mort
Puisse ton Âme reposer en paix dans cette nouvelle aurore.
Avec nos plus sincères condoléances à Elisabeth, ton épouse, à Jean, ton fils de cœur, à la famille Crettaz, à la famille Preiswerk, toutes les personnes qui, dans la vallée, à Genève, à Fribourg et ailleurs, t’ont connu et aimé.
Rita Bonvin pour EVM
Les Cafés mortels : rapatrier la mort au cœur de la cité
Parler de la mort au bistrot, voici l’idée toute simple lancée par le sociologue suisse Bernard Crettaz au terme d’une conférence au musée d’Ethnographie de Neuchâtel (CH), en 2004. Dans ces « Cafés mortels », il souhaite ainsi « libérer de façon spontanée et sauvage une parole sur la mort, tout en la dédramatisant par le boire et le manger d’un bistrot ».
En 2010, paraît le livre Cafés mortels, sortir la mort du silence*. Bernard Crettaz y évoque, entre partage de son expérience et analyse sociologique, ce qui se passe, ce qui se dit, ce qui se trame et ce qui reste. Les Cafés se développent, dépassent la centaine, migrent partout dans le monde.
En 2014, Bernard Crettaz anime son dernier Café mortel; il a organisé la transmission de cette aventure où se côtoient engagement phréatique, liberté d’esprit et encouragement à la transgression – à l’image du personnage. Une association, EnVie de Dire la Mort, est créée en Suisse francophone ; elle regroupe des personnes provenant de différents milieux, qui s’engagent activement à parler de la mort en public, sous différentes formes, dans le but de promouvoir autour de la mort, des pertes, du deuil, des rites :
- une oralité vivante : la présence réelle de ceux qui parlent et de ceux qui écoutent, permettant la rencontre ; le lien avec une tradition orale séculaire qui légitime l’homme dans sa parole sur la mort et la vie ; l’élaboration d’un récit qui fait avancer ce travail d’énigme autour du deuil et de la mort.
- une oralité citoyenne : celle qui aborde des sujets qui nous concernent tous, dans des lieux accessibles à tous, réunissant à chaque fois une communauté éphémère de vivants face à la mort.
- une oralité non spécialisée : celle qui reconnaît la valeur de l’expérience de chacun ; celle qui affronte la mort sans recourir aux références de quelque système que ce soit.
- pas de posture professionnelle mais simplement le questionnement d’êtres humains face à la mort,
- pas de théorie mais des expériences,
- pas de thérapie mais un partage.
Grâce aux Cafés mortels, la mort sort non seulement du silence, mais également du champ médico-socio-thérapeutique dans lequel il serait vain de vouloir la circonscrire. Porteurs d’une voix citoyenne, les Cafés mortels rapatrient la mort au cœur de la cité et célèbrent dans un esprit libertaire un nouvel art de vivre qui rassemble joyeusement, et dans leur contradiction invraisemblable, la vie et la mort.
*Ed. Labor et Fides, Genève
Association EnVie de dire la Mort, Suisse :
Catherine Bastianel (La Verrerie FR)
Albane Bérard (Montreux VD),
Rita Bonvin (Ayent VS),
Alina Darbellay (Uvrier VS),
Martial Ducrey (Sion VS),
Stefania Lemière (Carouge GE),
Charlaine Luthi (Troistorrents VS),
Laurent Neury (Martigny VS),
Christine Orsinger (Martigny VS),
Esther Schmidlin (Vevey VD)
Monique Vuataz (Vevey VD)
Le Drap Blanc, Land art et autres suggestions de rituels au temps du coronavirus (2020)
Dès la mi-mars 2020 et encore au moment d’écrire ces lignes à la fin avril, l’épidémie de coronavirus a profondément bouleversé les fondements collectifs de l’accompagnement de fin de vie, des soins palliatifs et des rituels funéraires. Palliative-vs en collaboration avec Bernard Crettaz, sociologue et fondateur des Cafés mortels, Delphine Défago-Raboud, infirmière et auxiliaire de pompes funèbres, Caroline Walker-Miano de l’Oberwalliser Verein für Sterbe- und Trauerbegleitung et l’association EnVie de dire la Mort qui poursuit les Cafés mortels vous proposent des pistes très concrètes pour effectuer des rituels dans ces trois moments-clés : avant le décès, dans le temps de la mort et après le décès.
Dans le texte ci-dessous - qui continue à s’enrichir, cf site www.enviededirelamort.com - nous suggérons…
… avant la mort, de faire un rituel d’adieu à la personne en fin de vie : mettez par écrit, avec vos mots, un texte d’adieu que vous lirez à votre proche, directement ou par téléphone, et d’habiter ce moment selon vos convictions.
Comment ? Prenez le temps de réfléchir à votre chemin de vie avec cette personne, moments privilégiés ou épreuves traversées, valeurs partagées ou transmises, etc. Trois paroles sont particulièrement puissantes : l’amour (je t’aime), la gratitude (merci), le pardon (je te demande pardon/je te pardonne). Ecrivez ce texte et organisez la lecture pour votre proche (visite, téléphone, nouvelles technologies, etc.), n’hésitez pas à demander l’aide des soignants. Gardez ce texte pour la cérémonie du souvenir qui sera faite ultérieurement.
… dans le temps de la mort, de célébrer l’adieu avec les plus proches (nombre et lieu selon possibilité), avec des objets liés au défunt, de fixer un temps de recueillement, d’aller sur la tombe ou dans un lieu de mémoire, d’utiliser les nouvelles technologies.
Comment ? En fonction du lieu et des consignes, rassemblez les personnes significatives, y compris en utilisant les nouvelles technologies. Informez les autres personnes concernées de la date, de l’heure et de la durée du temps de recueillement ou de la cérémonie, faites-leur parvenir les textes et musiques choisis afin qu’elles puissent s’y associer en pensée. Vous pouvez également convenir d’un horaire pour allumer une bougie sur le bord de la fenêtre en signe de deuil. Nous vous encourageons à aller dès que vous le pourrez au cimetière ou dans un lieu cher à votre souvenir pour affronter concrètement la réalité de la mort.
Ce temps permet de dire des choses fondamentales : « X est mort, nous l’aimons et allons le pleurer, nous le garderons dans nos mémoires, nous le laissons partir car il ne fait plus partie du monde des vivants ».
Si toute la famille ne peut participer aux funérailles, il est possible de décider qu’une partie de la famille participera à la cérémonie et que l’autre ira au cimetière. Pensez aussi à la possibilité de filmer ou de faire des photos pour les personnes qui ne peuvent être présentes.
… toujours dans le temps de la mort, de réaliser un hommage à la personne décédée, comme par exemple le Drap Blanc, une œuvre de « Land art », un livre-souvenir, ou dans un espace virtuel (sites internet, réseaux sociaux).
Comment ?
Le Drap Blanc : que votre créativité puisse occuper ce temps de deuil ! Peignez, dessinez, collez, cousez, demandez aux personnes significatives de vous faire parvenir cartes, dessins, objets, qui feront de ce Drap Blanc une œuvre unique tout comme l’était la vie de cette personne. Gardez ce Drap Blanc pour la cérémonie du souvenir.
« Land art » : vivez un moment de recueillement dans la nature tout en respectant les mesures de sécurité liées au coronavirus, et réalisez une œuvre éphémère utilisant des matériaux naturels. Vous pouvez emporter une bougie, une photo du défunt, un objet particulier, de la musique… Choisissez un lieu qui deviendra un « lieu-souvenir », soit un lieu en lien avec le défunt, soit un lieu où on aime se retrouver ou simplement un endroit tranquille au fil d’une balade. Réfléchissez à son accessibilité (saisons, condition physique, éventuel risque de déprédation si lieu de passage). Laissez-vous inspirer par ce que la nature vous offre, en plus des objets apportés, pour créer un «tableau». Chaque personne présente est invitée à y amener sa touche. Vous pouvez filmer et commenter en direct chaque apport, lire un texte d’hommage, etc. Vous pouvez également photographier les étapes de la création du « tableau » puis regrouper les créations de toutes les branches de la famille pour en faire un album-souvenir collectif.
Livre-souvenir : dans les EMS ou les entreprises, lors du décès d’un résident ou d’un collègue, organisez une « table commémorative » avec une photo du défunt et un livre où des messages pourront être inscrits pour la famille. Ce livre sera remis aux proches par la direction.
Durant cette période où les contacts personnels sont limités, soyez créatif envers des personnes endeuillées en les appelant par téléphone plutôt que de mettre un message, en écrivant une lettre où vous pouvez partager des souvenirs et exprimer ce que le défunt signifiait pour vous, en leur apportant un gâteau, en faisant livrer des fleurs, etc.
… après la mort, de rétablir des séquences rituelles (anniversaires, etc.) pour avancer dans l’énigme du deuil et laisser partir le mort.
Comment ? En fonction de vos convictions, dès que les circonstances le permettent, vous pouvez organiser des « rites de rattrapage » avec toutes les personnes significatives (messe anniversaire, cérémonie laïque, retrouvailles dans un lieu symbolique, etc.). Les rites funéraires sont des rites de passage, la personne décédée passe du monde des vivants au monde des morts, toutes les cultures célèbrent ce passage et il n’est jamais trop tard pour le faire.
Ce sont des suggestions, sentez-vous libres de vivre ces moments selon vos convictions.
Au retour de jours meilleurs, les Draps Blancs et autres hommages symbolisant les liens pourront être utilisés pour une cérémonie du souvenir ou pour une cérémonie communautaire innovante, à large échelle. Nous allons réfléchir à un rite collectif pour que nous puissions marquer tous ensemble la traversée de cette épreuve qui touche toute la communauté.
La version courte de ce texte et la référence du site www.enviededirelamort.com ont été diffusées le 25 mars dans le réseau de soins palliatifs, sur les réseaux sociaux et auprès des médias romands.
Des questions ? Envie de témoigner ? Contactez-nous via les sites www.palliative-vs.ch ou www.enviededirelamort.com (en français) ou www.sterbebegleitung-oberwallis.ch (en allemand)
Rita Bonvin, présidente, Christine Orsinger, membre du comité palliative-vs, avril 2020